Après vingt-sept ans de combat, dont la moitié contre l'institution judiciaire, André Bamberski a atteint son but : voir derrière les barreaux Dieter Krombach, le meurtrier de Kalinka, sa fille de 14 ans retrouvée morte le 10 juillet 1982, à Lindau, en Bavière. Mais sa mission n'est pas terminée.
Elle le sera lorsque la justice qui a condamné par contumace Dieter Krombach, en 1995, à quinze ans de réclusion, mettra sa peine à exécution. Il l'a promis sur la tombe de Kalinka.
"Je n'aurai de paix et de sérénité qu'une fois accomplie cette tâche", dit-il. Une obsession ? "Non, un acte de vie", corrige Danièle, sa compagne.
Cheveux blanc argenté, les traits tirés par ces cinq dernières journées où "tout s'est emballé", André Bamberski ne se départ pas de son calme, tellement imperturbable qu'il semble contenu, et de sa voix tellement monocorde qu'elle semble retenue. "Face à l'inertie de la justice, il fallait agir", se justifie-t-il. Lui, l'ancien expert-comptable que tous ses proches décrivent comme "un homme de droit et de droiture", hanté par "le respect rigoureux des règles", n'exprime pas le moindre regret d'avoir, à 72 ans, enfreint la loi afin "qu'elle s'applique à un criminel".
Dimanche 18 octobre, à Mulhouse, il a livré pieds et poings liés à la justice française - ou plutôt fait livrer - le docteur Dieter Krombach, contre lequel un mandat d'arrêt international avait été lancé il y a treize ans.
Ce délit vaut à Bamberski une mise en examen pour "enlèvement et séquestration", mais il échappe à la détention, qu'il était de toute manière "prêt à assumer".
André Bamberski est né en 1937 non loin de Valenciennes (Nord), de parents polonais arrivés en France pour travailler dans le bassin minier. Raflé par les Allemands en 1940 avec sa soeur jumelle, il a passé les années de guerre en Pologne, ballotté d'un endroit à l'autre, tantôt dans la famille, tantôt chez des étrangers. Toujours premier de sa classe, il a fait son droit et décroché un diplôme d'expert-comptable. Il a émigré au Maroc, où il est demeuré pendant douze ans.
C'est là, à Casablanca, qu'il s'est marié, que sont nés ses deux enfants, Kalinka et Nicolas, et qu'il a croisé Dieter Krombach - alors employé au consulat d'Allemagne - cardiologue avec une bonne situation aujourd'hui, avec lequel son épouse partira ensuite pour l'Allemagne.
Kalinka a succombé chez cet homme, devenu son beau-père, après avoir été abusée et empoisonnée, selon Bamberski.
Des premiers doutes l'ont taraudé deux mois après le drame. "J'ai été effaré de constater que, dans le rapport d'autopsie, ne figurait aucune analyse toxicologique ni aucune expertise", se souvient-il. A partir de là, "(sa) vie a basculé".
Mais André Bamberski estime devoir cela à la mémoire de sa fille. "Elle était le coeur de ma vie", lâche-t-il. Il n'aura de paix qu'une fois son "devoir accompli" : faire comparaître Dieter Krombach devant un jury de cour d'assises.
Yves Bordenave in Le Monde 26/10/2009