Hervé ROUACH (AFP) – 06/01/2010
PARIS — Les violentes protestations sociales en Algérie et en Tunisie témoignent d'un malaise social profond, touchant en particulier les jeunes diplomés, aggravé par la crise économique et l'usure des élites politiques, estiment des experts interrogés par l'AFP.
La Tunisie est en proie, depuis le 17 décembre, à une révolte sociale inédite, partie du centre-ouest du pays, qui a fait 4 morts au total: deux lors de manifestations et deux suicides. En Algérie, des émeutes ont éclaté ces derniers jours dans les villes du pays pour dénoncer le chômage et le coût de la vie.
Selon les analystes, il y a des points communs entre les deux pays, ainsi qu'avec le Maroc voisin. Leurs économies ne parviennent pas à offrir des perspectives aux jeunes, souvent diplômés, qui arrivent sur le marché du travail.
"Dans ces trois pays, il y a eu des efforts dans le domaine de l'éducation, mais on n'a pas pensé aux mécanismes d'intégration des jeunes diplômés à la collectivité, une intégration qui passe évidemment par l'emploi", estime Driss Benali, économiste, professeur à l'université Mohammed V de Rabat.
Le Tunisien de 26 ans qui s'était immolé par le feu en décembre et qui est mort mardi des suites de ses blessures était l'un de ces jeunes diplômés. Il était vendeur ambulant, faute de mieux, et sa marchandise venait d'être confisquée par la police.
La crise mondiale est venue s'ajouter à ces difficultés, de même que la hausse des prix alimentaires qui, dans ces pays, sont pourtant subventionnés par l'Etat. Après les manifestations en Algérie, le gouvernement vient d'assurer que l'"Etat continuera à subventionner les produits" de première nécessité.
"Il y a beaucoup de chômage, beaucoup de diplômés-chômeurs et ça fait longtemps que ça dure. La situation tient tant qu'il y a de la croissance économique", observe Pierre Vermeren, maître de conférence à l'université de Paris I.
"De plus, la crise économique a bloqué l'émigration" qui était une soupape pour les économies du Maghreb, en offrant un débouché à certains diplômés, note-t-il.
En outre, explique le chercheur, l'Algérie et la Tunisie sont "deux pays qui ont des systèmes politiques en crise" avec deux présidents, Abdelaziz Bouteflika et Zine el Abidine Ben Ali, qui s'approchent de la fin de leur carrière. En l'absence de relève, "cela crée une situation politique d'attente, sans perspective", note-t-il.
Les régimes politiques des pays du Maghreb sont pourtant très différents, la Tunisie étant très critiquée pour l'absence de libertés politiques.
"En Tunisie, ils manifestent parce qu'ils étouffent, ce n'est pas une violence seulement sociale mais une protestation contre le fonctionnement du régime. Le régime et la famille Ben Ali ont écarté toutes les relèves potentielles. Il n'y a plus de relais du pouvoir, il y a la peur qui règne", souligne Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes.
De fait, le président Ben Ali, qui tient le pays d'une main de fer, a peu de craintes de voir son pouvoir menacé par la révolte sociale, selon les analystes.
"Au Maroc, la situation n'est pas aussi fermée, il y une opposition constituée. Les jeunes au chômage peuvent manifester durant des mois devant l'Assemblée nationale à Rabat", ajoute Karim Pakzad, de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), à Paris.
En Algérie, "le FLN (au pouvoir) a gardé une légitimité du parti de libération nationale" et "dans l'espace public, les partis d'opposition peuvent s'exprimer", précise-t-il.
Pour les trois pays, il faut aussi désormais prendre en compte la dimension internet et le possible effet de contagion. "Les gens sont toute la journée sur internet, sur Facebook et les Algériens voient très bien ce qui se passe en Tunisie", relève Pierre Vermeren, qui souligne aussi le rôle de la chaîne Al-Jazirah dans la diffusion de l'information au Maghreb.