Article interactif in LEMONDE.FR | 10.01.11
Algérie : "Nous sommes une jeunesse désenchantée"
"On veut vivre dignement et librement"
Des frustrations accumulées face au régime
Si la situation s'est calmée en Algérie après une fin de semaine marquée par des émeutes urbaines, des Algériens racontent leur pessimisme face à l'avenir et à la situation de leur pays.
* "Nous sommes une jeunesse désenchantée", par Nina B.
Je vis en Algérie et j'espère que le pays va s'embraser et se soulever comme en 1988. Pourquoi ce désir alors que j'aime mon pays ? Parce que nous souffrons de nos conditions de vie : chômage, précarité sociale et économique, problèmes de logement, d'accès aux soins. Nous sommes une jeunesse désenchantée. Alors qu'on lit dans les journaux que l'Algérie est riche, où est la richesse ? 155 milliards de dollars de réserves de change grâce au pétrole ! Notre pays est aux mains d'une élite et de hauts responsables corrompus. Notre jeunesse est laissée sur le carreau car les richesses de notre pays ne sont pas redistribuées. Nous en avons ras-le-bol car à cela s'ajoute maintenant la cherté de la vie. C'est de la "hogra" [mépris vis-à-vis du peuple], nous n'avons rien à perdre et je souhaite de tout mon cœur que mon pays se soulève et cette fois pas pour un match de foot mais pour l'Algérie.
* "J'habite Alger la sombre, j'ai 25 ans et la seule chose dont je rêve c'est bien d'assister à une renaissance de mon pays", par Ange
Comme tout le monde le sait, ces nouvelles manifestations sont dues aux problèmes sociaux que vivent les Algériens. Aucune organisation, parti politique, syndicat ou autre n'a appelé à une manifestation. Ce sont des jeunes, encore une fois, qui en ont marre de leur situation ; ils ne voient aucun avenir dans leur propre pays, l'un des plus riches au monde. J'habite Alger la sombre, j'ai 25 ans et la seule chose dont je rêve c'est bien d'assister à une renaissance de mon pays, une deuxième indépendance et une deuxième République. Mais en l'absence de vraies forces d'opposition, les extrémistes trouvent encore une fois le champ libre et appellent à une nouvelle "fitna" [guerre civile]. Jeudi vers 22 heures à Bab el-Oued, l'ex-chef du FIS [Front islamique du salut] appelait à la révolution, avec autour de lui des jeunes qui criaient "Allah akbar".
* "Après de longue années d'études, je travaille pour un salaire de misère", par Abdelkrim K.
(...) Je peux comprendre cette réaction de jeunes comme moi, même si je ne cautionne pas leur méthode. Je suis diplômé et après de longue années d'études je travaille pour un salaire de misère. Et on me demande de plus de passer le service national obligatoire ! Quel service ? Pour quelle nation ? Celle des fils-à-papas-généraux et autres voleurs ? A 27 ans je ne vois en l'avenir qu'une image noire où aucune lumière n'existe. (...) De l'autre coté, il existe une couche sociale qui vit dans une démesure totale, digne des pétrodollars des pays du Golfe ! Il y'a trop d'injustice dans un pays suffisamment riche pour offrir à chacun le droit de vivre dans la dignité. C'est notre seul requête. On ne veut pas être riche, on veut vivre dignement et librement dans ce beau pays.
* "Ce ne sont pas les prix de l'huile ou du sucre qui sont à l'origine de ces émeutes", par Med F.
Ce ne sont pas les prix de l'huile ou du sucre qui sont à l'origine de ces émeutes, mais bien la frustration de ces jeunes de ne pas pouvoir travailler, de ne pas trouver de loisirs pour se défouler... Car l'Etat ne se soucie pas de sa population mais bien de ses propres intérêts. Pour un pays si riche, c'est très frustrant. Quant aux émeutes, les jeunes ne savent pas ce qu'ils font ni quoi faire, simplement, ça les défoule, ça les change de leur quotidien... L'Etat devrait prendre ce problème au sérieux, sans quoi il comptera ses jours.