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| Sujet: Le cinéma engagé Mar 22 Fév - 16:42 | |
| Le cinéma engagé Dossier in Le Courrier international
http://www.courrierinternational.com/dossier/2004/06/30/le-cinema-engage
Difficile de définir le cinéma engagé, tant sont variés les courants et les individus qui peuplent cette mouvance. Leur unité, si elle existe, ne vient peut-être que de l'opposition à Hollywood et à ce qu'il représente de nivellement commercial et de pusillanimité. Cette opposition a un prix : elle implique une économie de moyens et appelle des choix formels qui ne sont en rien gages de qualité. Sans parler de la volonté didactique qui nuit souvent à la dimension artistique. C'est toutefois bien dans cette volonté que nombre de cinéastes se placent, s'emparant d'un espace de parole déserté par les politiques pour se faire les porte-voix ou les symboles de la contestation. Le cinéma engagé vit ainsi aujourd'hui un moment d'agitation féconde.
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Sembène Ousmane Le film d’Ousmane Sembène "Moolaadé [Le sanctuaire] est bien plus qu’une étude politique sur l’excision des fillettes en Afrique. Avec une héroïne qui défie la tradition et protège les jeunes villageoises, ce film choque par la brutalité des rites de purification sur lesquels il se penche. Le metteur en scène sénégalais a réalisé un film radical, dévoilant des drames quotidiens, montrant comment les hommes traitent les femmes et comment les femmes réagissent entre elles. “L’excision est aussi vieille que l’humanité, estime Ousmane Sembène. Nous, Africains, sommes aussi responsables que les autres de ce que l’humanité a fait de bien ou de mal. Nous aussi, nous sommes responsables de l’esclavage, de la guerre et de la guerre civile.” D’après lui, l’islam n’est pas en cause : “La tradition africaine a absorbé toutes les religions, et, lorsque la religion ne donne pas satisfaction, nous revenons à la tradition. Chacun interprète la religion comme bon lui semble.” Ousmane Sembène est aussi un écrivain marxiste qui vit à Dakar. Son premier roman, Le Docker noir [éd. Présence africaine, Paris, 2002] remonte à 1956. Celui qui est considéré comme le père du cinéma africain a débuté à l’âge de 40 ans. La plupart de ses films sont adaptés de ses romans. En 1947, il quitte Dakar pour Marseille, où il travaille comme docker. Il se syndique, rejoint le Parti communiste et milite contre la guerre en Indochine et pour l’indépendance de l’Algérie. A la bibliothèque du syndicat, il lit Richard Wright, John Dos Passos et Pablo Neruda. Il étudie le cinéma aux studios Gorki, à Moscou. Moolaadé, qui sortira en mars 2005 en France et, en 2006, dans la plupart des pays européens, a été l’un des films les plus salués par la critique au Festival de Cannes 2004 ; lors de sa projection en première mondiale, dans la sélection parallèle Un certain regard, l’auteur et son équipe ont reçu un accueil triomphal. Dans La Fille noire, le premier film réalisé par Ousmane Sembène en 1965, une jeune fille quitte le Sénégal et sa famille pour travailler chez un couple dans le sud de la France. Humiliée, traitée comme une esclave, elle met brutalement fin à ses jours. Ousmane Sembène vient tout juste d’arriver de Dakar. Il parle vite, tout en tirant sur sa pipe. “En Afrique, nous parlons trop, estime-t-il. J’ai eu du mal à faire ce film, parce qu’un Africain ne se contente jamais de dire : Non. Il faut toujours qu’il dise : Non, mais… Il a donc fallu neuf mois pour monter ce film.” Il estime que Moolaadé est le plus africain de ses films. Il l’a tourné dans un petit village situé à 650 kilomètres de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. “Ni électricité, ni téléphone. Rien que des moustiques. Aujourd’hui, les grandes villes africaines ne sont jamais que le prolongement de l’Europe. C’est pourquoi j’ai tourné dans un village. J’ai cherché au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, et, quand je suis tombé sur celui-ci, Djerisso, je n’ai plus voulu en bouger.” Moolaadé a pour thème la tradition qui veut que l’on offre une protection aux fugitifs. Dans le film, quatre jeunes filles s’enfuient pour ne pas être excisées et demandent protection à Collé (jouée par la comédienne malienne Fatoumata Coulibaly), qui a refusé que sa fillette soit “purifiée”. Collé protège ces jeunes filles des femmes et de leurs couteaux. Ce faisant, elle s’oppose à son mari et à sa famille et, en fin de compte, au village tout entier. Elle est battue en public par son mari, aux cris de : “Brise-la !” “Une femme n’est pas un morceau de viande, estime Ousmane Sembène. Les gens me demandent où je vais chercher ces histoires. J’ai une grande famille qui compte plus de femmes que d’hommes, et on y raconte beaucoup d’histoires. A mon âge, les gens se confient davantage à moi.” “Je suis pour l’abolition de l’excision, poursuit-il. J’ai vu des mères en mourir ou tomber malades. Et les couteaux utilisés pour cette mutilation propagent le sida. En outre, je condamne le silence des hommes. Ça me fait mal de voir les hommes garder le silence.” Il est rare qu’un réalisateur place ses personnages dans des situations aussi extrêmes. Mais Ousmane Sembène se dit intéressé par les actes d’héroïsme au quotidien. Dans ses films, les femmes ne se laissent jamais abattre. Elles se mettent en colère et répondent. “La femme est la plus belle création de Dieu, dit le réalisateur. Il n’y a rien de plus beau au monde, quel que soit son âge. La mère avec son enfant, la grand-mère avec ses petits-enfants. J’ai eu la chance de grandir entre mes deux grands-mères. Elles veillaient sur la famille.” Il prend rarement les hommes pour héros. Dans Moolaadé, Mercenaire (le personnage joué par Dominique T. Zeïda) sème le trouble. C’est un colporteur venu de la ville, qui vend des soutiens-gorge, des piles électriques et des bols en plastique. Il a fait la guerre et a déserté. Mais il a un sursaut d’héroïsme, qui lui coûtera cher. “Dans tous les villages, on déteste les intrus, explique Ousmane Sembène. Les villageois ont peur de Mercenaire. Il leur fait connaître des éléments de la vie moderne, comme le plastique. Si vous allez dans n’importe quel village, vous y verrez des piles de déchets en plastique.” Moolaadé est le volet central d’une trilogie. Le premier, Faat Kiné (2000) est l’histoire d’une autre femme forte – une grand-mère – et de sa fille. Kiné dirige une station-service. Elle n’a jamais pu obtenir son diplôme scolaire parce qu’elle a été séduite par le professeur, qui l’a fait renvoyer lorsqu’il a su qu’elle était enceinte. Le père de son deuxième enfant ne vaut guère mieux : il la quitte pour aller vivre en France. Mais Kiné et sa mère font de leur mieux pour que le fils qu’elles élèvent reçoive une bonne éducation. Lorsque les deux pères font une apparition à l’occasion de la remise du diplôme du fils, sa mère et lui les mettent dehors. “A mon époque, les femmes étaient soumises, se souvient Ousmane Sembène. Mais, aujourd’hui, demandez aux hommes si leurs femmes sont soumises. Chez mon fils, c’est lui qui fait la cuisine. Les hommes ont toujours eu peur des femmes. Quand on voit tout ce que fait une femme, il est clair que l’homme ne lui arrive pas à la cheville.”
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Au loin, les lumières (Allemagne)
Pour tous ceux qui resteront aux portes de l’Europe, l’Occident ne sera que ces “lumières, au loin". Leurs rêves s’arrêteront à la frontière. Tourné avant l’entrée prochaine de la Pologne dans l’Europe, le film du jeune réalisateur allemand Hans-Christian Schmid décrit une faune bigarrée de clandestins à la recherche d’un moyen de passer à l’Ouest, de trafiquants de cigarettes, d’interprètes, de prostituées et de passeurs professionnels ou bénévoles qui se croisent entre Francfort-sur-l’Oder, en Allemagne, et Slubice, en Pologne, de l’autre coté du fleuve : la frontière est aussi un lieu de rencontres.
Outre-Rhin, le film a été accueilli par un concert de louanges : “Le meilleur film depuis longtemps”, pour le Tagesspiegel, “Grandiose”, pour la Süddeutsche Zeitung, “Le meilleur film allemand de 2003, de loin”, pour la Frankfurter Rundschau. Tous s’accordent à reconnaître la justesse d’un film qui aborde un sujet omniprésent dans la société allemande, puisque près de 200 000 clandestins entrent chaque année dans le pays.
Hans-Christian Schmid, dont c’est le premier film qui sort en France, ne cache d’ailleurs pas une intention sociale : “Il faut savoir que nous vivons dans une société riche. Et je ne crois pas que les politiques qui limitent l’immigration et empêchent les gens des autres pays d’entrer dans l’UE soient justes. J’ai essayé d’être aussi prudent que possible au niveau politique mais, évidemment, quand vous décrivez ce monde, vous parlez de gens qui se trouvent dans des conditions extrêmes. Ils ne sont pas tous gentils, mais je voulais que le film reflète cette réalité.” Avec le succès de Good Bye Lenin !, celui de Gegen die Wand (Ours d’or à Berlin, prochainement en France), le renouveau du cinéma allemand fait donc la part belle aux sujets de société.
Cela étant, le réalisme de la description n’empêche pas l’intensité du récit. Au contraire, elle la sert en donnant toute sa profondeur aux personnages que le réalisateur a su rendre attachants. “La caméra à l’épaule insuffle intensité et proximité”, remarque la Süddeutsche Zeitung, et Hans-Christian Schmid tient le spectateur en haleine. Les destins des protagonistes s’enchevêtrent au travers d’un montage dynamique, et chaque histoire est émaillée de rebondissements : on est sans cesse tiraillé entre l’espoir d’une heureuse surprise ou l’angoisse d’un désastre probable. “Même si le désespoir est souvent proche, ils ne se résignent pas”, remarque la Berliner Zeitung. Et en dépit des faiblesses et des misères de chacun pointe ici un élan de générosité, là un regard amical ou amoureux, un geste de solidarité ou parfois simplement un regret. Ces courts instants illuminent les portraits d’une lumière plus chaude, sans doute, que celle des néons de l’Alexanderplatz. Et donnent au titre du film une résonance plus optimiste.
"Bienvenue dans la réalité” était le surtitre allemand du film – il n’a pas été conservé dans la version française. Cela sonnait comme une provocation, par opposition à “Bienvenue en Allemagne". Mais c’est bien de cela, de la réalité crue, qu’il s’agit. “Si le réalisateur déploie une profonde sympathie pour ses personnages, il ne cède pas à la facilité, ce qui le protège du Sozialkitsch” – faudrait-il traduire par misérabilisme ? –, comme l’écrit la Berliner Zeitung. Le récit évite “les effusions sentimentales ou la prétention pompeuse que le cinéma moralisateur a cultivées si volontiers”, continue le journal, pour ensuite comparer le film aux Quatre Cents Coups, de Truffaut, ou à Bande à part, de Godard. D’autres établissent des parallèles avec Short Cuts, d’Altman, ou L’Homme sans passé, de Kaurismaki. Pourquoi pas, d’ailleurs. S’il faut jouer au jeu des références, pour ma part, j’ai pensé à Maupassant. Et ce n’est pas le moindre des compliments.
Titre original : Lichter. Réalisé par Hans-Christian Schmid. | |
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