Mihai Sora : un philosophe roumain de la joie et de l’espoir
Par Corina Sabău
La philosophie ne véhicule pas des informations. C’est une confrontation perpétuelle de l’individu avec lui – même et avec le monde, une confrontation réalisée à l’intérieur de la culture, avec les instruments de la culture, soit avec ce qui reste après avoir tout oublié”. C’est là un des regards que Mihai Sora jette sur la philosophie.
Auteur de plus d’une dizaine de volumes, Sora figure parmi les philosophes et essayistes contemporains les plus importants de Roumanie.
A l’Université, il a la chance d’avoir comme pédagogues, les célèbres critiques littéraires, écrivains et philosophes, Tudor Vianu, Nae Ionescu et Mircea Eliade.
En 1939, il part à Paris, après avoir obtenu une bourse auprès du gouvernement français. C’est ici qu’il se lie d’amitié avec d’autres noms connus de la culture roumaine, tels Eugène Ionesco, Emil Cioran et Constantin Noica.
En 1947, la prestigieuse Maison d’Edition Gallimard publie son volume “Du dialogue intérieur”.
Mais l’aventure française n’allait pourtant pas durer longtemps, car, une fois rentré en Roumanie pour visiter ses parents, en 1954, Sora se voit interdire de quitter le pays, par les autorités communistes de l’époque.
En tant que rédacteur en chef aux Maisons d’Editions pour la Littérature et les Arts, Sora lance la nouvelle série “La bibliothèque pour tous”.
Rétrogradé après la publication de plusieurs poètes – anciens détenus politiques ou émigrants, il publie en 1978, “Le sel de la Terre. Une cantate à deux voix sur le rôle poétique”, un ouvrage qui valut à son auteur le prix de l’Union des Ecrivains de Roumanie.
Ministre de l’Education dans le premier gouvernement post communiste, Sora s’attache à restructurer de fond en comble l’enseignement afin de l’engager sur une voie qui privilégie la notion de “culture générale”. Il démissionne en juin ‘90, pour protester contre la descente des mineurs sur Bucarest de juin 1990.
En 2009, un des livres parus chez les Editions “Cartea Romaneasca” – Le livre roumain, signé par Leonid Dragomir et lancé dans le cadre de la Foire du Livre Gaudeamus, a été dédié au philosophe roumain Mihai Sora.
Le journaliste et poète Nicolae Prelipceanu nous en dit davantage:
“Si je n’avais pas lu le livre de Leonid Dragomir “Mihai Sora – Une philosophie de la joie et de l’espoir”, j’aurais eu du mal à déchiffrer sa philosophie. C’est un volume qui réussit à synthétiser les théories du philosophe, et où les explications purement philosophiques font place à celles de l’homme. Car c’est une véritable vision de l’être humain qui ressort de ce mélange d’étude philosophique et interviews avec l’auteur. Or, la philosophie de Sora ne se définit ni par le temps, ni par l’espace. La question qui le préoccupe le plus est à déceler dans l’épigraphe de son premier livre: comment mener une vie semblable à celle d’un arbre tout en gardant sa condition humaine. A lire ses livres et à l’écouter parler, on se rend compte que c’est là un objectif parfaitement tangible. Voilà pourquoi ses livres offrent plutôt une philosophie sur la nature humaine, sur l’homme qui n’a pas l’ambition de tirer au clair les énigmes du Cosmos mais plutôt ceux de ce microcosme qu’est l’homme”.
“Ce n’est pas la difficulté du chemin à parcourir qui caractérise avant tout le régime spirituel de l’homme mais plutôt les faux pas qu’il fait sans cesse à bon escient et qui prolonge inutilement et dangereusement son itinéraire”, affirme Mihai Sora dans son livre de début “Du dialogue intérieur”.
Le critique Alex Serbanescu se souvient de sa première rencontre avec l’auteur, par le biais du volume “Le sel de la Terre”, dont il réalisa aussi le compte-rendu lors de sa parution dans les années ’70.
“Je me suis rendu compte qu’il s’agit d’un livre dense, d’un livre très sérieux qui n’est pas fait de phrases vides de sens.
Une fois familiarisé avec ce langage très condensé, j’ai pu dénicher des idées d’une grande beauté et simplicité. Ces idées n’auraient pas pu s’exprimer autrement pour la simple raison que personne ne l’avait fait auparavant. Simples, elles l’étaient parce qu’elles ne renvoyaient pas à de faux problèmes mais à nous, à la condition humaine, au bonheur, à l’amour, à la mort, au savoir, à l’infini, à l’éphémère. Ce fut là un examen très difficile que j’ai passé avec succès au début de ma carrière de critique littéraire. Selon moi, Mihai Sora est un philosophe qui sait mettre en valeur la tradition roumaine, tout en gardant sa vision universelle. C’est un mélange assez rare chez nous, où il existe la tendance à déraper et à embrasser ou bien l’autochtonisme, ou bien un cosmopolitisme grossier. J’estime que Mihai Sora est un philosophe qui ne fait pas appel à des figures de style juste pour embellir son texte; il les crée par nécessité”.
“La philosophie, telle que je la conçois, tient à la sagesse, une question de l’existence ne relève pas de l’accumulation de connaissances,” avouait Mihai Sora dans un entretien avec l’écrivain Leonid Dragomir.
“Mes débuts en tant qu’écrivain datent de ma jeunesse. J’avais écrit un ouvrage imprégné des livres que j’avais lus. Entre temps, mes lectures sont devenues plus familières. Elles étaient plus qu’une référence culturelle. Et, juste au moment où j’avais perdu tout espoir de pouvoir écrire de la philosophie, vu que je vivais à une époque où il n’y avait aucune liberté d’expression, j’ai profité d’une certaine ouverture pour écrire mon livre de début “Le sel de la Terre”. Toutes mes références culturelles s’étaient estompées, mes pensées suivaient ma seule logique intérieure. La question du langage était très dans le vent à l’époque; on avait renoncé à la philosophie stalinienne du langage, le terrain était donc libre. C’est ainsi que sont nés l’idée du personnage qui entre en dialogue avec moi et qui contredit mes affirmations, ainsi que ces livres centrés sur la question du langage et plus tard sur la métaphysique”. /
Le roman de Leonid Dragomir “Mihai Sora. Une philosophie du bonheur et de l’espoir” s’avère vraiment utile à quiconque souhaite approfondir la création de ce grand penseur roumain contemporain.
Corina Sabau ; trad.: Alexandra Pop
In Voyages.ideoz.fr