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 Prénoms et imaginaire maghrébin

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MessageSujet: Prénoms et imaginaire maghrébin   Prénoms et imaginaire maghrébin EmptyMar 27 Jan - 16:49

Croyances et pratiques maghrébines relatives aux prénoms
L'imaginaire maghrébin à partir du cas de la Tunisie
Par Riadh Benredjeb


La première recherche exhaustive réalisée sur les prénoms tunisiens serait celle de Paul Marty qui date des années 1930. Cet auteur avait pour source le recensement militaire annuel de tous les noms dans toute la Tunisie, source qui fournit 60000 noms complets, c'est-à-dire comprenant 3 générations, une liste on ne peut plus complète pour les hommes (Marty, 1936). Les prénoms des femmes sont collectés à partir de 8 000 recrues tirées au sort parmi les 60000 conscrits recensés. Ces 8 000 personnes retenues fournissent le prénom de leur mère. C'est dire que les autorités et les chercheurs de l'époque détenaient une véritable banque de données en matière de nom et de prénom, données révisées et enrichies annuellement.

Il faut noter qu'il n'y avait pas uniquement la source militaire car Marty s'était basé également sur le courrier, les réclamations, les registres d'état civil, les registres d'inscription des étudiants à la Grande Mosquée de Tunis : la Zeitouna, la chronique judiciaire, la presse, etc. et Marty note que le chercheur dispose donc, dans ce domaine, d'une base de documentation incomparable pour ses investigations personnelles (Marty, 1936, p. 388).

La seconde étude importante sur les prénoms tunisiens a été réalisée par Maurice Borrmans dans les années 1960. Ses outils de travail ont été les journaux tunisiens publiant la liste des lauréats au Baccalauréat, au Brevet et au Certificat d'Études de la session de juin 1966. Il a constaté que les prénoms subissent la loi de l'évolution et de la mode, une mode qui dépend du type et du milieu socioculturel : Ainsi, une famille de type traditionnel maintiendra des Muhammad et des 'Ali, des Fatima et des Khadîja dans sa descendance, tandis que la famille qui se veut moderne y multipliera les Sâmi et les Mounîr, les Amâl et les Rawdha. » (Borrmans, 1968). Pendant toutes ces années, la mode portait également sur les prénoms : Habib (Bourguiba) et Abdennaceur (Nasser d'Égypte), Kamâl (Ataturk).

Déjà, Paul Marty notait dans son étude la rareté des prénoms de Fâtma et de Khâlid et l'extrême vogue des prénoms de Mansoûr et de Khmîs. Nous constatons que dans les années 1990, c'est l'inverse qui se réalise puisque les premiers prénoms reviennent à la charge. La prénomination répond bien à la règle de la mode. Durant les années 30, ce sont les prénoms des Bey de Tunis ou des Rois d'Égypte qui constituaient les modèles à suivre. C'est notamment le cas pour Farouk (roi d'Égypte) et pour Lamine (El-Amîne) et Moncef, tous deux beys de Tunis.

L'onomastique révèle que les prénoms ont pour le peuple une valeur magique. Le choix d'un prénom dépend d'une superstition, d'une coïncidence, d'un anniversaire, d'un rêve qui provoquent des réactions psychiques importantes. La tradition maghrébine fait que l'enfant est généralement prénommé dans les sept jours qui suivent sa naissance. Cette habitude existe davantage dans les régions rurales que dans les villes. Le prénom est souvent choisi par les parents sinon les grands-parents. Ce prénom est souvent celui des grands-parents.

Un usage assez fréquent était de donner à chaque enfant deux prénoms : l'un officiel, administratif; l'autre de contact et de communication sociale. L'enfant ignorait souvent son premier prénom jusqu'à sa rentrée à l'école, pour celui qui y allait. D'autres le découvriront par hasard lorsqu'ils seront adultes.

P. Marty donne à ce niveau un exemple frappant. Ainsi, au recensement de la population de Sousse effectué en 1930 : « sur 4 000 personnes, la moitié n'a pas répondu à son prénom d'état civil que la plupart du temps ils ignorent de très bonne foi et que les parents eux-mêmes ont oublié »(Marty, 1936, p. 377).

Cet usage du dédoublement de prénom était très fréquent et répondait probablement à des raisons mystiques et magiques. Il ne semble pas, à priori, que cet usage entrave la constitution d'une identité unique des individus, puisque chaque prénom cherche un certain équilibre et une entente, l'un avec le monde visible, l'autre avec le monde invisible. C'est dire le poids massif des croyances populaires sur la conduite des individus.

Ainsi, certains prénoms, révélés maléfiques pour une famille à la suite d'une série de catastrophes ou d'une grave maladie, ne seront jamais utilisés, tel par exemple le prénom de Zohra, dans la famille Trabilsi du Sahel tunisien (région de Sousse) qui fut abandonné, dans les années 1930, à la suite des décès successifs de fillettes portant ce prénom (Marty, 1936, p. 372). Dans ce genre de situation, la décision s'impose après la consulta­tion de marabouts et de meddebs.

Par ailleurs, nous relevons la fréquence des changements de prénoms. Il arrive souvent, en effet, que le prénom d'un enfant, trouvé peu commode ou reconnu maléfique ou encore ne correspondant pas à la personne, soit abandonné par la famille et substitué par un autre. Les adultes, femmes surtout, changeaient fréquemment de prénoms pour des raisons magiques ou de fantaisie. D'autres fois, les décès successifs des enfants invitent la famille à chercher un prénom-remède préventif. L'enfant qui naîtra aura pour prénom Nâji (sauvé) ou Yahia (il vit) ou encore un des prénoms dérivés de 'Aych (la vie) tel Ya'îch (il vit) ou encore al-Mani' (en arabe littéraire : « l'empêcheur » ; en arabe dialectal : « le sauvé »). D'autre part, quand un enfant est décédé en bas âge, son prénom est souvent donné au bébé suivant et ce pour garder vivant le souvenir du premier et éviter la rupture dans le temps.

L'usage fait également qu'on nomme parfois une fille Hadda (limite). C'est généralement la énième fille. Prénommée ainsi, elle est prédestinée à être la dernière de la série, en la chargeant « officiellement » de boucler la génération féminine.
Une autre croyance réside dans le fait que certains prénoms peuvent constituer un présage de bonheur et peuvent exercer une influence favorable sur la destinée des enfants. C'est ce qu'on appelle l'onomancie. Ce sont par exemple les prénoms suivants : Sa'd (bonheur), Barka (don), Khîr (bien), Marzûq (celui qui a reçu les biens terrestres : progéniture, richesse etc.), Rzayyaq (diminutif de rizq : biens).
D'autres prénoms sont la trace d'un esclavage disparu, du temps des mamelouks, c'est le cas de Mabrûk / Mabrûka ; Mbârik / Mbârka ; Mas'ûd / Mas'ûda, etc.

Les prénoms des saints et des marabouts sont extrêmement fréquents dans le Maghreb. Chaque région est marquée en fait par ses saints locaux. Ces prénoms sont transmis aux familles fidèles qui les vénèrent. Ainsi, on trouve dans le Cap-Bon tunisien les prénoms de la dynastie des M'âwîn (de Sidi M'âwia Cherîf, altéré en Chârif), à Tunis : Châdhli / Châdhlia, Bilhasan (de Sidi Ibn al-hasan al-Châdhulî), Manûbi / Manûbia (de Lilla Sayyida Manûbia), etc. Sinon, le prénom Abdessalem (de Sidi Abdessalem Ibn Mâchîch, dit « Lasmar » (le brun), maître de la « tarîqa » (école mystique) de la Soulâmiyyâ), est plus répandu en Lybie. Abdlkader (de Abdelkader al Jîlani, maître de la tariqa Qâdria), est plus présent en Algérie (Demmerseman, 1964 ; Gondolphe, 1945, Weyland, 1926).

L'usage maghrébin fait que certains prénoms de la tradition musulmane sont altérés sur le plan phonétique. C'est le cas pour Khadîja (la première épouse du Prophète) qui devient Khdîja ou encore Khaddûja; 'A'icha (la plus jeune femme du Prophète) devient 'Awîcha ou encore 'Aychûcha ; Fâtima (la fille du Prophète) devient Ftîma ou Fattûma. Ces changements constituent souvent un diminutif indiquant l'esprit de familiarité et d'affec­tion entre les personnes.
II ne faut pas oublier que l'habitude et la tradition ont fait que la majorité des jumeaux de sexe masculin s'appellent Hasan et Husayn, prénoms des fils de 'Ali, quatrième calife, cousin et gendre du Prophète. Quand il s'agit de jumelles, on les prénomme parfois Safâ et Marwâ (deux collines constituant deux lieux saints de La Mecque).

Dans les prénoms maghrébins, on ne trouve guère le nom d' Allâh. Par contre, on assiste de nos jours à l'émergence du nom de la religion musul­mane Islâm qu'on donne généralement comme prénom féminin. C'est peut-être le signe que la distance avec la divinité et la religion est en train de se rétrécir de plus en plus. Car personnifier l'Islam en un individu humain peut être une illustration d'une forme de décadence de la vie sociale et culturelle. C'est ôter la valeur spirituelle de l'Islam et la remplacer par des valeurs plus physiques et charnelles. L'Islam ne risque-t-il pas d'être réduit, de la sorte, à un objet de désir terrestre.

Psychodynamique du prénom
« Le nom n'est pas comme un manteau qui pend et que l'on peut arracher ou déchirer, mais c'est une veste parfaitement adaptée, ou comme la peau, que l'on ne peut pas gratter et écorcher sans faire du mal à la personne » (Goethe, cité par Tesone, 1988).
C'est indéniablement la psychanalyse qui a ouvert la voie à l'étude de la prénomination par rapport à l'inconscient. Wilhelm Stekel s'est penché sur l'étude du nom de famille. Il a été le premier à montrer mais surtout à écrire que le nom de famille « agit souvent de façon contraignante sur celui qui le porte ou bien il sollicite certaines réactions psychiques : opposition, orgueil, honte » (cité par Abraham, 1912).

Le nom de famille situe avec clarté le sujet par rapport au nom du Père qui est le pivot de l'articulation phallique. Il situe le sujet par rapport à l'axe de la transmission intergénérationnelle. Et il permet de distinguer les familles les unes par rapport aux autres.

Quant au prénom, il humanise l'être nouveau-né et l'individualise au sein de sa famille puis par rapport aux autres. C'est la mère qui formule à l'enfant les éléments représentant son identité, qui « murmure à l'oreille son prénom » (Flavigny, 1987). La mère transmet la culture, les prénoms des autres et l'histoire. Le prénom est l'essence même de la personne. Le prénom c'est la personne (Tesone, 1988). Il reflète la vie de l'individu en le situant dans un réseau complexe de relations familiales, sociales, religieuses et spatio-temporelles. Le prénom se situe par rapport à une combinatoire familiale et sociale. L'acte de nommer permet de faire rentrer l'enfant dans l'ordre des relations humaines, c'est le situer socialement. C'est le classer. « La nomination est une ponctuation de la relation d'objet » (Beddock, 1991). Mais c'est aussi l'inscription de l'enfant dans une histoire symbolique familiale (Levi­Strauss, 1962). Le prénom serait l'illustration parfaite de la continuité ou de la discontinuité transgénérationnelle. Le prénom, disaient les latins, c'est le destin (Beddock, 1991).

Le prénom est comme la peau, une enveloppe. C'est un contenant spatial et temporel, un contenant choisi par les autres, pas par l'enfant. Le prénom c'est des lettres jetées sur le corps d'un bébé. Le choix d'un prénom est la réalisation d'un accord inconscient, d'un compromis entre des désirs paternels et maternels, ou entre les lignées paternelle et maternelle. Le prénom est un condensé de plusieurs significations. C'est une sorte de syntaxe fondatrice, de « pré-inscription » réalisée par la famille. C'est un don familial. Le prénom est « le dépôt d'un mythe familial en suspension qui engage l'enfant » (Tesone, 1988). C'est une pré-structure de la personnalité. L'enfant est déjà programmé, en quelque sorte, destiné à être ce prénom, à être cette personne. L'enfant qui porte un prénom est un enfant « chargé de mission » .

Classification psychodynamique (sémantique) des prénoms
Prenons quelques exemples de prénoms arabes tels : Hirmân (frustration), 'Itâb (réprimande), Wa'd (promesse), Haykil (squelette! mais aussi autel, sanctuaire), Sarîr (« sourire » mais aussi « lit » ), Nidhâl (lutte), Sumûd (résistance), 'Afâf (chasteté), Sâlha (valable), etc. Il est clair qu'ils véhiculent une sémantique, la plupart du temps inconsciente, évidente.
Les prénoms tunisiens et arabes en général peuvent être classés selon plusieurs axes inconscients. Ainsi, il y aurait des prénoms qui se situent par rapport à :

l'axe temporel, la durée, la continuité, le passé, le futur, l'espoir et la vie. Ce sont par exemple Omar, Omur, 'Ammâr, Khulûd, Fraj, Hayât,
L'axe de la santé: Slîm, Selim, Salmâ, Sâlma, (sain/saine),
La propreté (physique ou spirituelle) : Tâhir, 'Afâf (propre, chaste, vierge),
Le conflit : 'Intisâr (triomphe), Nidhâl (lutte), Sayf (épée), Mundhir (Avertisseur), Sumûd (résistance), Borhâne (preuve),
Sagesse et raison : Rashîd, Rashîda, Hakîm (sages), Mâhir (intelli­gent), Adel (le juste), mais aussi Mehdi,
L'axe de la morale : Dhamîr (conscience morale), Som'a (réputation mais aussi < minaret »),
L'axe symbolique : Sâmi (sublîme), Ramzî (arabe littéraire « symbolique », arabe parlé : « mon symbole » ), Riadh (arabe littéraire pluriel de Raoudha «jardin » , arabe parlé : « calme »), Hédi / Hédia (calme), Sadok (celui qui dit la vérité), Mokhtar (arabe littéraire : « l'élu » , sens implicite en arabe parlé : « la tête ailleurs » ), Mongi (sauveur), Moncef (le juste), Moslih (correcteur! réparateur).
D'autres prénoms sont plus rares, exemple : Gharîb (étranger), Alâ­uddîn (Aladin).

* Des prénoms de tendresse, de beauté et de relations amoureuses :
Jamîla (belle), Fâtin (très belle), Hasnâ (très belle), Sahar (ensorcelle­ment), Dalîla, Dalâl (caprice), Nûr, Munîra (illumination), Sahrazâd, Zubayda, (personnages des mille et une nuits), Nâhid (en rapport avec le soupir, mais aussi avec les seins). 'Ashwâq (manques et envies), Habib, Habiba, Mahbûba (en rapport direct avec l'amour; respectivement : l'aimé et l'aimée), Zohra (fleur), Nâdia (celle qui appelle), Hûrya (nymphe), mais aussi « humide » qui manque de rayons de soleil, Surûr (joie), Sârra (joyeuse), Hâjer (celle qui quitte), Rawiya, (désaltérée), Nâdra (rare), Yûsuf (Joseph le beau), Znikha (de Zulaykha, l'épouse de Putiphar, arché­type de la séduction féminine), Rym, (gazelle), Sâlha (valable!), Chafik (celui qui a le cœur tendre), Said / Saida (heureux, heureuse).

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