Interview de Salem Chaker, Linguiste et professeur de langue berbère
In Jeune Afrique du 17 novembre 2009
Jeune Afrique : Quelles sont les origines des Berbères ?
Salem CHAKER : Cette question a fait couler beaucoup d’encre. Les sources latines les ont fait venir de Perse, les historiens arabes médiévaux de Palestine ou du Yémen, et les fumeuses théories coloniales du XIXe siècle leur attribuaient volontiers des origines « européennes ». Mais tout cela n’est que légende ou idéologie. Les Berbères doivent être considérés comme les habitants autochtones de l’Afrique du Nord. Tous les indices scientifiques, données archéologiques, anthropologiques, linguistiques et témoignages de sources anciennes (égyptiennes, grecques, latines...) convergent pour établir qu’ils y sont installés depuis des millénaires.
Mais alors, pourquoi ces légendes et idéologies ?
Chaque conquérant a eu tendance à donner aux Berbères une origine qui légitimait sa domination sur l’Afrique du Nord. Cela est tout à fait explicite chez de nombreux idéologues arabes, algériens notamment, qui prétendent justifier une politique d’arabisation des Berbères par leurs origines « yéménites ».
De la même façon, une prétendue origine celtique, germanique ou grecque justifiait la colonisation européenne. De nombreux conquérants (Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes, Turcs, Français et autres Européens) se sont implantés dans cette aire géographique au cours de l’histoire et il y a eu bien des apports de populations étrangères (Négro-Africains, Andalous et Juifs). Mais aucune de ces dominations extérieures, aucune de ces arrivées de populations ne change radicalement le fond du peuplement indigène, qui reste berbère.
Que signifie être berbère à notre époque ?
C’est d’abord et avant tout être berbérophone, car la langue est le principal critère d’identification du Berbère par rapport au reste de la population d’Afrique du Nord. Bien sûr, il y a d’autres paramètres : une tradition et des références culturelles particulières, une mémoire historique spécifique, éventuellement des restes d’organisation sociale propre, du moins là où l’intégration nationale et le monde moderne n’ont pas complètement écrasé les structures sociales anciennes. Cependant, tous ces paramètres n’existent, et surtout ne perdurent, que si la langue qui les porte se maintient. Si l’on considère la situation en Afrique du Nord, le berbérophone qui abandonne l’usage de sa langue se fond dans la majorité environnante arabophone et devient Arabe. C’est un processus mécanique, parfaitement connu, qui est à l’œuvre depuis des siècles avec la conquête arabe et l’islamisation des Berbères. L’immense majorité des Maghrébins sont des Berbères arabisés au cours des siècles, dans le cadre de ce processus de substitution linguistique qu’est l’arabisation. La berbérité en dehors de la berbérophonie me paraît illusoire et sans avenir.
Propos recueillis par Tayeb Belmadi