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| Sujet: Régression globale, paix individuelle Jeu 8 Avr - 0:40 | |
| LIBERTE Edition du Mardi 06 Avril 2010
Chronique : Régression globale, paix individuelle
Par : Mustapha Hammouche
Hier, en fin de matinée, rue Khelifa-Boukhalfa au centre d’Alger, une dame d’un âge certain étendait son linge. Une bassine posée à sa droite, la femme y puisait les habits lavés, jetait un rapide coup d’œil par-dessus le garde-corps du balcon puis, accoudée au parapet, se met à pressurer énergiquement l’objet trempé, tandis qu’une rafale d’eau s’abat sur le trottoir. Elle se relève ensuite, étend le linge essoré et se penche sur sa bassine pour en prendre un autre et recommencer l’opération. En face, quelques personnes agglutinées devant une épicerie ne semblaient même pas avoir remarqué le manège de la buandière, malgré le bruit sec de la chute d’eau d’essorage. Deux jeunes hommes assis au seuil de l’immeuble, sur l’autre trottoir, vaquaient à leur conversation, sans prêter attention à ce qui semble être une scène ordinaire de la vie quotidienne urbaine. Les passants passaient en se déportant soigneusement sur la chaussée pour éviter d’être douchés par la lavandière des villes ou peut-être pour ne pas la gêner dans sa noble tâche. Justement à ce niveau de la rue, la circulation est plus éparse qu’elle ne l’est en général dans les artères de la ville, depuis l’ouverture d’un chantier de bouche de métro. Pourtant, là, face à la palissade de chantier, un véhicule, seul dans une rue déserte et large, était garé, un sabot plaqué contre une jante. Devant l’absurdité de la scène fellinienne de la ménagère tordant son linge par-dessus le balcon dans une indifférence consensuelle, l’immobilisation punitive de cette auto prenait le sens d’une plaisanterie. Elle illustre une conception toute policière de l’ordre public : là où un code de répression permet de sévir, la force publique s’affranchit de tout discernement ; mais là où il n’y a pas de papiers à prendre en otage, on ne s’aventure pas à intervenir. On peut voir les agents de l’ordre, debout au milieu de la chaussée, la dégaine western, le regard menaçant à l’endroit des automobilistes, impassibles au capharnaüm des trottoirs alentour où se déroulent les scènes les plus aberrantes : passage bloqué par de statiques causant, débordement des piétons sur l’asphalte, larcins, rixes… Hors circulation, la voie publique est à l’abandon. Tout se passe comme si la délinquance automobile n’était pas le reflet d’une régression comportementale générale. Finalement, la peur du gendarme seule garantit ce minimum de discipline des conducteurs, sinon pourquoi un peuple qui se déplace et s’arrête n’importe comment quand il est à pied devrait-il se soumettre aux normes quand il est au volant ? Pourquoi des personnes qui se croient autorisées à pisser des eaux sales de leurs balcons hésiteraient-elles quand il s’agit de s’arrêter à un arrêt de bus pour saluer une connaissance qui passe ?
Ce qui étonne, au demeurant, ce n’est pas que les mille et une manifestations d’incivisme qu’on observe dès qu’on met le nez dehors, notamment en milieu… urbain, c’est ce détachement collectif face à un mouvement de recul culturel national et durable.
Y a-t-il un tacite consensus national pour l’incivisme qui, de plus en plus, semble ne révolter personne, ni dans l’État ni dans la société ? Est-ce l’expression d’un renoncement général, définitivement adopté comme stratégie de réconciliation nationale : regarder dérailler la société au nom de la paix personnelle ?
M. H. musthammouche@yahoo.fr
www.liberte-algerie.com
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