Tiderray
Après avoir signé « Id yukin » (Les nuits volubiles), en 2005, « Taâezzult-iw » (Confidences et mémoires), en 2006, Ahcène Mariche revient cette année avec « Tiderray » (Contusions).
Celui-ci est édité à compte d’auteur, comme le premier, il a été préfacé par Djamel BEGGAZ, il est composé de 25 poèmes écrits en langue kabyle avec leur traduction en langue française réalisée par Mohamed Melaz.
Sorti en juillet dernier, « Tiderray » (Contusions) est, actuellement, disponible au niveau des grandes librairies de la Kabylie et dans quelques-unes à Alger et à Oran, en attendant sa distribution à grande échelle.
Fiche technique du recueil :
Titre : « Tiderray » (Contusions)
Auteur : Ahcène Mariche
Édition : A compte d’auteur
Traduction : Mohamed Melaz
Préface : Djamel BEGGAZ
Conception : BEGGAZ.Info
ISBN : 978-9947-0-1766-1
Nombre de pages : 122
Prix public : 180 DA
PRÉFACE de :TIDERRAY ( CONTUSIONS)
« Ceux qui n’ont que les yeux pour voir,
Sont aveugles dans le noir »
Le poète, lui, utilise tous ses sens, même le sixième. Il prédit, imagine, écoute et voit à travers les ténèbres. Ce noir épais n’a jamais été un obstacle pour lui, au contraire, il l’inspire par son emprise et tout le silence qui l’accompagne, ne dit-on pas que : « La nuit porte conseil ! » Elle est bel et bien sa conseillère, lui seul sait bien l’écouter, la comprendre et l’apprécier.
Ahcène voit ses multiples passions comme les vents qui enflent les voiles du navire, elles le submergent quelquefois, mais, sans elles, il ne pourra voguer. Sous leurs pressions, il devient docile, elles l’emportent dans leurs sillages jusqu’à des contrées inconnues et c’est là qu’il se met à matérialiser ses pensées, visions et messages. Quand l’accalmie reprend place, il devient tel un ermite, oubliant, le temps, il vaque à ses tâches quotidiennes au point qu’on ne le reconnaît plus.
De tout ce qui l’entoure, il puise ses sujets avec une délicatesse à la « MARICHE », puisque, dans ses approches, on retrouve, à chaque fois, des textes affranchis d’un timbre qui porte son nom et son image à la fois.
Après avoir fait parler, dans son précédant recueil l’aiguille ; fêter la « Saint Valentin » en Kabyle ; mit le doigt accusateur sur la négligence ; crier haut et fort sur la déperdition de nos valeurs et mœurs ancestrales, le voici, aujourd’hui, abordant d’autres sujets avec différentes analyses.
Il fait parler le tranchant (le couteau), raconte ses déboires, ses moments de bonheur et de fierté. Au diapason avec le rythme de vie actuel, même le « bip » d’un téléphone portable, qui a engendré une (pré) histoire d’amour, l’inspire. Là, il mêle le bonheur à l’angoisse, le stress à l’empressement dans l’attente qui précéda le moment de la « rencontre ».
Dans un autre poème, avec un verbiage plein de fioritures et d’images, il décrit, à la perfection même, cette fidèle inconnue qui ne cesse de lui rendre visite sur visite, durant des années, sans pour autant connaître ni son visage, ni sa voix, ni même sa silhouette, lui qui, sans même entendre sa voix, sait quand même capter les mots qu’elle lui murmure à chaque fois qu’elle vient.
« Il n’est pas bon d’être malheureux,
Mais il est bon de l’avoir été »
De tous ses malheurs, Ahcène s’inspire, il revisite cette nuit cauchemardesque où il vécut cette rencontre furtive, dans la maison de la bien-aimée, qui allait convoler en justes noces. Se retrouvant entre la joie et la peine, le bonheur et le malheur, au moment du voyage nuptial il a lâché ces mots qui en disent long sur son tourment :
Le jour où le cortège nuptial est venu te prendre,
Est semblable à une tombe qu’on venait de me creuser.
L’écho des youyous qu’on ne cesse d’entendre,
Représente pour moi le supplice des éprouvés.
Lorsque mise dans le taxi qui était là à t’attendre,
L’ange de la mort semble venir m’interroger.
Son oreiller n’est pas celui que nous connaissons. A la place de la laine, de l’éponge ou du duvet, c’est à un tas de tourments et de soucis qu’il en a droit. Ils le tiennent éveillé en les écoutant et s’il plonge dans un sommeil le sursaut lui est garanti par ceux-ci.
Les cicatrices, au fond de son âme, à chaque fois qu’il y pense, le transportent jusqu’aux causes et histoires qui en ont été à l’origine. Il profite à faire le pèlerinage, demande le pardon. Quel comble (?) pour lui qui les croyait effacées, elles ressurgissent à nouveau, se plaignent et l’oppressent.
Tantôt aigre, acide. Tantôt doux, délicieux. Il passe d’un sujet à un autre comme cette fluctuation dans les couleurs de l’arc-en-ciel et montre les pics de ses sensations et pulsations comme l’électrocardiogramme qui laisse ébahi tout médecin. On le comparerait à une eau calme, qui reflète les rayons du soleil, tel un miroir dedans toute une vie, un monde qu’on ne saurait décrire et qu’on ne pourrait imaginer.
Il fait un constat de sa vie et fixe d’un regard ses quatre décennies, malgré tout ce qu’il y a fait, il reste insatisfait et pense, dur comme fer, qu’il lui reste beaucoup à faire…
Exigeant envers lui même dans son écriture, on sent cette voix qui conseille, qui montre le chemin et qui dit : « Le superflu n’est qu’un masque qui finira par tomber ». Tout ça dans : « Sois toi-même » où il montre toute les qualités que la personne humaine qui, n’arrivant pas à avoir une bonne image d’elle-même, tombe dans l’imitation aveugle (et aveuglante) qui la mènera à la ruine.
Apprécie tes points forts,
En estimant les tares d’autrui.
Ta valeur émergera dès lors,
Et tu connaîtras un succès garanti.
D’autres t’envient mais tu ignores,
Tout le rang dont tu jouis.
L’argent qui, de tout temps, est source de problèmes, à plus forte raison de nos jours, est vu par Ahcène d’un autre œil, non celui de ces gens haletant en le voyant. Il outrepasse ce qu’il peut procurer et cerne bien ce dont il ne peut pourvoir : la santé, le bonheur, la paix, la postérité… Alors, à défaut de troc, il est et restera, pour lui et ses semblables, juste un instrument économique.
L’argent fait perdre le bon sens
Pour les riches des derniers temps.
Il les pousse, à vrai dire, à la démence,
Fonçant tel un sanglier menaçant.
Dans les airs, ils voudraient qu’ils s’élancent
Ou s’accrocher carrément au vent.
« ZIVKA », son héroïne, a bien trouvé un piédestal. Il l’a ornée d’une couronne et lui transmet un message codé et énigmatique à travers deux chiffres qu’il a combinés à sa manière et fait ressortir son : « SEPT ET DEMI » qu’il augmente de vingt pour en avoir un : « VINGT-SEPT ET DEMI ». Pour ne plus la quitter, il souhaite être son ombre et la suivre partout, d’où que vienne le soleil, son ombre devant, derrière ou sous ses pieds, lui prouve toujours ce lien charnel des cœurs.
Par un phrasé remarquable, il s’attaque à ses états d’âme, retrace le cheminement d’une vie de poète et toutes les « contusions » qu’il a dû supporter pour atteindre le jour d’aujourd’hui.
Finalement, tout a de l’importance chez lui, Lounès MATOUB ne s’est pas trompé[1], même les malheurs, surtout les siens, lui sont d’un grand apport.
Dame nature ne cesse de l’émerveiller, c’est avec ses présents qu’il peuple les creux de ses nuits dans des strophes qui laissent à penser. Pour lui, les apparences sont vilaines, la primauté est dans le fond de l’âme, de la pensée.
Son cœur, ce petit organe est devenu son éternel interlocuteur. Il lui incombe des responsabilités, juste après il compatit, il l’invite à un dialogue et tente de le comprendre, de le soulager de cette charge qu’il ne peut supporter tout seul.
Des années qui sont passées, il s’en moque, il y va droit au but, mais, des fois, ses rencontres le ramènent à la réalité pour lui montrer l’autre côté de la vie qu’il ne cesse de négliger devant la passion pour laquelle il s’obstine.
La société, il ne la ménage pas, il désigne ses failles et torts au point de la qualifier (à tort ou à raison ?) de rouillée, de béotienne :
La société est à présent rouillée,
Devenue hélas méconnaissable.
Sois patient et remarque à volonté,
Tu constateras un néant regrettable.
La rouille y est enracinée,
Et rien ne reste de valable.
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément »
En conclusion, après toutes ses expériences et tout ce qu’il a connu, vu et su, il le résume dans ces vers :
J’étais un authentique rôdeur
Mais aucun engrenage ne m’a retenu
J’ai vu de toutes les couleurs
Et qu’est ce que je n’ai entendu ?
Il n y a que l’art l’enchanteur
Qui m’a séduit et convenu.
J’ai enroulé la bobine des choses de la vie
La mienne paraît grande et allongée
J’en ai déroulé une grande partie
A savoir si vos yeux l’ont remarqué
A présent, ce sont des poèmes que j’ai mûris
En guise de messages je vous les dédie.
Dans chacun de ses livres, il multiplie les saveurs et nous montre l’étendue de ses idées avec des thèmes et approches assez particuliers. Il s’inspire des animaux, les fait parler et tisse ses mots tel un tisserand comme l’a fait avant lui Ésope, De la Fontaine et Slimane AZEM. Des fois il se singularise et fait « parler » les objets : l’aiguille, le couteau…
Après la lecture de cet ouvrage, Ahcène nous donne déjà de la salive à la bouche et nous rend pressés de découvrir ce qu’il cache, si jalousement, dans son viatique qui comprend, selon lui, plus de 300 autres poèmes, il nous convie déjà à plein de rendez-vous sans pour autant préciser des dates exactes.
Voilà qu’après nous avoir fait parcourir ses « Nuits Volubiles »[2], il nous a confié ses « Confidences et Mémoires »[3], le voici, aujourd’hui, étaler, devant nous, ses « Contusions » à plus d’un titre.
Djamel BEGGAZ[4]