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 "Les Echos" : Voyage au coeur de la marmite algérienne

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MessageSujet: "Les Echos" : Voyage au coeur de la marmite algérienne   "Les Echos" : Voyage au coeur de la marmite algérienne EmptyMer 27 Avr - 21:43

Voyage au coeur de la marmite algérienne
Par Marie Christine Corbier
in Les Echos 27/04/11

En Algérie, grèves et sit-in se multiplient, jusque devant la présidence de la République. Ce 1 er mai, le comité des chômeurs appelle à un rassemblement de «tous les secteurs en lutte», alors que les revendications sont, jusqu'ici, restées éparses.

A Bab el-Oued, un très populaire quartier d'Alger, les vendeurs à la sauvette inondent de nouveau les trottoirs de leurs étals. Vêtements, chaussures et autres petits commerces fleurissent partout. « Il y a quelques mois, ce commerce informel était passible de plusieurs mois de prison, raconte un habitant. Mais depuis les émeutes de janvier, les autorités laissent faire pour permettre aux gens de survivre et éviter ainsi l'explosion sociale. »

Début janvier, alors que la révolution montait en puissance dans la Tunisie voisine, l'Algérie a en effet connu de violentes émeutes. La rente pétrolière a permis au pouvoir de calmer le jeu. Mais les affrontements ont laissé des traces -5 morts et 800 blessés -et la société est en ébullition.

« Tous les ingrédients de la révolte sont là », souligne un diplomate occidental. « La dynamique est lancée », renchérit le secrétaire général du Syndicat national autonome des personnels de la fonction publique (Snapap), Rachid Malaoui. Comme d'autres syndicats autonomes, celui de l'administration fait partie des nouvelles forces qui comptent en Algérie. Le pouvoir négocie avec ces organisations qui n'ont pourtant pas d'existence légale. En répondant favorablement aux revendications, les autorités tentent de gagner du temps et d'acheter la paix sociale. Greffiers, enseignants, médecins, gardes communaux... Chacun revendique sa part du gâteau. Les sit-in se multiplient. Devant les ministères, les bureaux du Premier ministre, et même la présidence de la République. Là où, il y a quelques mois encore, toute action sociale aurait été inimaginable.
La manne du pétrole

Le 20 mars, les enseignants contractuels ont été les premiers à revendiquer devant la présidence. Ils étaient 20.000 à réclamer le même salaire que leurs collègues intégrés dans le corps général des enseignants. « Nous sommes restés devant la présidence pendant dix jours avant d'obtenir gain de cause, raconte un membre du Conseil national des enseignants contractuels (CNEC), Aziz Rezaoui. On dormait par terre ou sur des matelas. » L'aide logistique des gens du quartier et le soutien du comité des chômeurs - une nouvelle organisation créée en février -les ont aidés à tenir.

D'autres s'en sont ensuite inspirés. Début avril, à quelques mètres de la présidence, l'avenue de Pékin a été occupée par les adjoints de l'Education nationale, aux cris de « Pouvoir, assassin ! ». « C'est le moment ou jamais de revendiquer, expliquaient Abderrahmane Hadji et Amel Tamalouste, d'autres manifestants, sans logement. Il faut faire du bruit pour avoir gain de cause. Ils ont réglé le problème des enseignants, il faut donc profiter de l'occasion. » Plus de 70 revendications catégorielles ont ainsi été recensées pour le seul mois de mars.

Mais l'argent du pétrole permettra-t-il au président Abdelaziz Bouteflika et au système en place de perdurer ? « Le pouvoir a la capacité de se maintenir à court terme, estime l'économiste Abdelhak Lamiri. Mais il faudra bien un jour qu'il mette en place des bases démocratiques. » Avec un pétrole à 120 dollars le baril, l'Algérie bénéficie de ressources supplémentaires par rapport à son budget prévisionnel. Or, elle disposait déjà fin 2010 de 155 milliards de dollars de réserves en devises. « Les autorités ont les moyens de maîtriser l'incendie social mais on ne construit pas une économie comme cela », regrette le patron d'une grande entreprise étrangère, qui juge le pays « très stable et très contrôlé ». « Ce serait une erreur de penser que Bouteflika puisse être renversé demain », juge-t-il. « Ce pouvoir panique et dit oui à toutes les revendications, remarque pourtant le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), Mustapha Bouchachi. Les infractions au code de la route ne sont plus punies et les jugements d'expulsion ne sont plus exécutés, dans le seul but d'apaiser la population. » « Il est impossible d'acheter la paix sociale, d'autant que le régime ne propose pas de réelle solution pour offrir du travail et une perspective aux jeunes », observe le porte-parole du Comité national pour la défense des droits des chômeurs, Samir Larabi. Les revendications ne sont pas seulement socio-économiques, elles sont aussi politiques, précise-t-il, en plaidant, comme d'autres, pour un « changement du système ». « L'Algérie ne vit pas une crise politique », insistait au contraire, au début d'avril, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia.

Le changement s'inspirera-t-il pour autant de la Tunisie ou de l'Egypte ? Nombreux sont ceux à souhaiter une évolution « pacifique », tant le souvenir de la « décennie noire » des années 1990 reste prégnant. « Dans chaque famille, on a en mémoire une arrestation à un faux barrage, un automobiliste abattu sous ses yeux, voire un frère, un cousin ou une nièce tué ou violé par le GIA ou les forces de sécurité », précise Gilles Kepel, professeur à Sciences po.

Installés à la terrasse d'un fast-food près de la grande poste d'Alger, deux étudiants débattent. « Un scénario d'insurrection populaire paraît assez improbable car l'Algérie est passée par cette étape-là en 1988 avec une révolte qui a été noyée dans un bain de sang », lance un membre du Mouvement des jeunes indépendants pour le changement (MJIC), Sofiane Baroudé. Etudiant lui aussi à Alger, Omar Kitani ne partage pas cet avis : « L'Algérie connaît un début de processus révolutionnaire différent de la Tunisie ou de l'Egypte. Mais il serait naïf de croire à un changement pacifique dans notre pays. Le système ne va pas céder comme ça ! Le régime finira par réagir par la répression et par des arrestations. Le mouvement suivra alors les exemples tunisien et égyptien. »

Sur les hauteurs d'Alger, Farid Lhadj Mohand, le responsable de la Coordination nationale des étudiants autonomes (CNAE), fondée pour supplanter les « organisations satellites non élues démocratiquement », mène tous les matins une assemblée générale. Le rond-point de l'université, derrière un immense portail métallique, est devenu la « tribune » des contestataires. Le changement se fera « dans la rue, à force de manifestations, de batailles gagnées et de mûrissement de la conscience politique », prédit-il.

« Ce sont les jeunes qui feront la révolution, insiste Hocine Malti, un consultant qui a participé à la création de Sonatrach, l'entreprise pétrolière et gazière nationale. Le peuple en a ras le bol de ce régime. Le ciment entre des émeutes éparses viendra des jeunes. Et, s'il y a un ciment commun, alors les choses iront très vite. »

C'est à un tel front commun que réfléchit le comité des chômeurs. Il a appelé le 1er Mai à un rassemblement de « tous les secteurs en lutte », une initiative unitaire qui doit servir de test. « On est dans la même tranchée, il faut donc s'unir », justifie Samir Larabi. « Mais les gens ont tellement vécu le pluralisme politique comme un échec qu'ils ne croient pas à des solutions collectives », déplore-t-il. « Les séquelles sont là, confirme Mustapha Bouchachi. Les Algériens sont réticents à descendre dans la rue, à lancer une révolution comme dans d'autres pays arabes. Ils veulent un changement mais ont peur de conséquences leur rappelant la guerre civile. » De fait, la société algérienne reste très atomisée. « Créer des interconnexions entre tous les foyers de révolte pour en finir avec ce régime et instaurer une véritable démocratie prendra beaucoup de temps », confie un jeune cadre d'entreprise et membre du MJIC, Abdou Bendjoudi.
Réformes en demi-teinte

Le pouvoir algérien tente, lui, de trouver la parade. Le président Bouteflika a annoncé le 15 avril une réforme de la Constitution ainsi qu'une révision de la loi électorale, de la loi sur les partis et du Code de l'information. Sans convaincre. « C'est du bricolage politique », affirme un opposant. « Le problème, ce n'est pas la Constitution, c'est son application ! », tonne un autre. Reste que « changer de système », comme le réclament étudiants, chômeurs, salariés, mais aussi des chefs d'entreprise, ne sera pas chose aisée. « La force du pouvoir est d'être diffus, commente un journaliste algérien. Il ne se résume pas à Bouteflika et des généraux. Il y a aussi de gros réseaux politiques, économiques ou historiques, qui seront très difficiles à faire tomber. Cela dit, la disparition du président pourrait amener certains cercles du pouvoir à accepter plus d'ouverture. » Un autre observateur pense que si l'armée n'apparaît pas susceptible de déclencher le changement, elle pourrait néanmoins l'accompagner. Une armée « dirigée par des septuagénaires qui ont fait la guerre de libération, et sont aujourd'hui en conflit générationnel avec de jeunes officiers ». « Ce qui peut se produire, poursuit-il, c'est un mouvement venant de l'intérieur du régime poussé par des réformistes tolérés par l'armée, et qui décapite l'ancienne génération. »

Beaucoup s'accordent toutefois à penser que ce changement prendra du temps. Et, dans ce pays mordu de football, on dit que l'Algérie « jouera la finale ». Mais après la chute de tous les autres pays arabes...

MARIE-CHRISTINE CORBIER, ENVOYÉE SPÉCIALE À ALGER
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