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 Frantz Fanon: Quelques repères.

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MessageSujet: Frantz Fanon: Quelques repères.   Frantz Fanon: Quelques repères. EmptyMar 21 Avr - 15:00

Qui était frantz fanon ? Pour les jeunes lecteurs d’aujourd’hui, le nom de Fanon ne dit peut-être plus rien ; ou, s’il évoque quelque chose, sans doute ne dit-il rien de bon. Mort il y a quarante ans, Frantz Fanon n’est plus là pour se défendre ni pour s’expliquer. Inévitablement, l’image de ce révolutionnaire, psychiatre et écrivain noir a été travaillée et retouchée par d’autres. C’est ainsi qu’est née la caricature d’un prophète raté, qui aurait lamentablement sombré en même temps que son époque. L’époque en question fut celle des combats de libération du tiers-monde, pour lesquels bien des Européens s’enflammèrent alors. Aujourd’hui, la situation et l’état d’esprit ont changé, et ces anciens militants tiers-mondistes voudraient ne pas l’avoir été. Parce que Fanon fut un témoin de ce passé, ils voudraient le mettre au rebut lui aussi. Le livre qui l’a rendu célèbre dans le monde entier – jusque dans les ghettos noirs des métropoles américaines –, Les Damnés de la terre, publié à Paris en 1961 et traduit en allemand en 1967 (par le traducteur de Sartre, Traugott König, chez Rowohlt) est tenu aujourd’hui pour une vieillerie ringarde : le manifeste d’une violence appelée à se déchaîner contre le colonialisme des Blancs.

Des voix s’élèvent même pour réclamer justice à titre posthume, et accuser cet homme qui mourut à trente-six ans d’une leucémie d’incitation à la haine raciale, en l’occurrence à la haine de la race blanche. Ces voix ne proviennent même pas de l’extrême-droite, comme on aurait pu s’y attendre. « Quand l’ONU se décidera-t-elle à élever l’agitation anti-occidentale et le racisme anti-blanc au rang des crimes contre l’humanité ? », s’interroge le « nouveau philosophe » français Pascal Bruckner dans son pamphlet Le Sanglot de l’homme blanc, en faisant référence à Frantz Fanon. Ce texte explique que la solidarité avec le tiers-monde n’est qu’une idiotie, et Bruckner précise aux lecteurs qui ne les connaissent pas qu’il ne vaut pas la peine de jeter un coup d’œil dans les livres de Frantz Fanon. Le leader noir américain Eldridge Cleaver disait dans le temps que « tous nos frères » pourraient les citer « au fronton de leur maison ». Pour le nouveau philosophe, au contraire, « tout le fondement théorique de la pensée de Fanon » tient dans ces deux mots : l’idéalisation du Sud.

De fait, il paraît absurde, au début du xxie siècle, d’idéaliser un Sud qui a produit, dans les années 1970, le régime meurtrier de Pol Pot au Cambodge et, dans les années 1990, les crimes de masse et les armées de killers d’Afrique du Sud. Mais l’erreur de jugement n’est pas le fait de Frantz Fanon : elle est le fait de ses calomniateurs posthumes. Les livres de Fanon ne contiennent rien qui s’apparente à une quelconque célébration du Sud et de ses habitants, sans compter que les catégories « Nord » et « Sud », synonymes du monde « développé » et « non développé », n’étaient pas encore en usage à l’époque. Dans les années 1950, du Pacifique à l’Afrique, les peuples colonisés, comme le peuple algérien, étaient en lutte contre les puissances coloniales européennes. C’est dans ce contexte que prit forme la réflexion politique de Frantz Fanon sur le rôle de la violence dans le processus de libération et sur les risques encourus par les colonisés une fois l’indépendance acquise. Ces textes ne peuvent pas être dissociés des conditions dans lesquelles ils ont vu le jour ; mais ils ne s’y laissent pas non plus réduire. Les condamnations posthumes de Frantz Fanon prononcées par ceux qui – tel Pascal Bruckner – accusent le militant noir d’avoir été un agitateur hirsute attisant la violence témoignent d’une ignorance malveillante et d’un ressentiment raciste, et elles ne font que rendre plus difficile la réévaluation de la pensée de Frantz Fanon qui est devenue possible aujourd’hui, avec la distance. Il a encore quelque chose à nous apprendre.

Un jeune Martiniquais noir qui n’avait jamais quitté son île natale ne pouvait que se dire que les règles de la société coloniale dans laquelle il avait grandi s’inscrivaient dans un ordre immuable du monde. C’est la Seconde Guerre mondiale qui ébranla en lui cette conviction : la guerre le fit entrer en contact avec le monde extérieur. Fanon quitta le foyer familial avant même de passer son baccalauréat et partit en cachette sur l’île voisine, qui appartenait à l’empire britannique. Peu de temps après, il se porta volontaire auprès des Forces Françaises Libres commandées par de Gaulle, qui luttaient contre inconnu aux côtés des Alliés. Depuis les Caraïbes, il fut envoyé en Afrique du Nord pour y subir un entraînement, avant d’être intégré dans la première armée coloniale qui débarqua sur les côtes du sud de la France au cours de l’été 1944 et tenta de barrer le passage à la Wehrmacht qui se repliait vers le nord.

Après avoir été blessé lors d’un combat livré à Montbéliard, dans le Doubs, Fanon guérit et prit part à la campagne de libération de l’Alsace occupée par les Allemands. En tant que soldat de l’armée coloniale française, il ne pouvait cependant guère avoir le sentiment de faire partie des libérateurs victorieux. Dans une lettre écrite cette année-là à ses parents, il se dit amèrement déçu : « J’ai fait une erreur. Rien, absolument rien ne justifie la brusque décision que j’ai prise de défendre les intérêts du propriétaire terrien : que je le défende ou non, il s’en fout. »

Fanon fut amèrement déçu de voir l’armée qui s’était levée pour libérer l’Europe de la folie raciste des nazis pratiquer elle-même ouvertement la discrimination raciste et ethnique. Officiellement, l’uniforme manifestait l’égalité entre les Martiniquais et les Français blancs ; mais dès que les noirs enlevaient leur képi, on les maltraitait. Au cours des festivités organisées en France en mai 1945 pour célébrer la victoire, les soldats noirs furent de préférence placés dans les tout derniers rangs. Dans son premier livre, Peau noire, masques blancs, publié en 1952, Fanon évoque discrètement cette rencontre avec le racisme de l’Europe continentale, qu’il découvrit précisément dans l’armée antifasciste de de Gaulle. La phénoménologie subtile du racisme qu’il développe dans ce livre, et qui englobe à la fois le corps et la langue, reste remarquablement actuelle, surtout si l’on pense aux crimes commis ces dernières années en Allemagne pour des motifs racistes.

Après sa démobilisation, Fanon rentra à Fort-de-France et rattrapa l’examen du baccalauréat. Il retourna ensuite en France et s’inscrivit en faculté de médecine à Lyon. Au cours de sa formation, il assista aussi à des cours du philosophe Maurice Merleau-Ponty, lut la revue de Sartre, Les Temps Modernes, et s’intéressa tout particulièrement à Freud et Hegel (une section de Peau noire, masques blancs est intitulée « Le Nègre et Hegel » : il tenta vainement de la faire accepter comme projet de thèse). Après avoir pris la décision de se spécialiser en psychiatrie, il exerça pendant un an dans la clinique psychiatrique de Saint-Alban, dans un département perdu, la Lozère.

La clinique était dirigée par un Catalan qui avait fui l’Espagne franquiste, François Tosquelles, et il cherchait à révolutionner de l’intérieur l’institution psychiatrique. À une époque où la notion d’« antipsychiatrie » était encore inconnue, tout comme les pratiques qui lui sont associées, Tosquelles avait eu le courage de faire tomber certaines barrières traditionnelles et de promouvoir des thérapeutiques qui impliquaient une collaboration entre patients, médecins et personnel soignant dans le partage d’une même activité. C’est sous l’influence de ce travail que Fanon développa le concept de « socio-thérapie » et le mit plus tard en application dans sa pratique de la psychiatrie.

En 1953, son diplôme de psychiatrie en poche, Fanon, qui avait alors vingt-neuf ans, fut nommé chef de la clinique psychiatrique de Blida, au sud d’Alger. Il fut effrayé de constater que l’école psychiatrique alors dominante dans l’Algérie française classait les Arabes algériens comme des « primitifs » et affirmait que leur développement cérébral n’avait pas dépassé ce stade : pour cette psychiatrie, les comportements pathologiques dérivaient de causes génétiques et ils étaient incurables. Fanon découvrit une autre réalité auprès de ses patients et de leurs familles. Il découvrit aussi la réalité d’une société coloniale fondée sur une ségrégation très stricte.

Aucune orthodoxie psychiatrique ne put empêcher Fanon de faire participer les patients et soignants algériens à des activités communes (notamment la publication d’un journal), conformément à son concept thérapeutique. L’insurrection de la fin 1954 ne tarda pas à bouleverser la vie de la clinique : elle accueillit des patients traumatisés par l’expérience de la violence, aussi bien des torturés que des tortionnaires (Fanon évoque quelques cas dans Les Damnés de la terre). Quand le gouvernement français, placé sous la direction de Guy Mollet, décida de répondre à la révolte sans ménagement aucun, par la seule répression militaire et policière, et de refuser toute forme de négociation avec les insurgés, Fanon démissionna de son poste de chef de la clinique de Blida et rejoignant le FLN s’installa à Tunis, le siège du gouvernement algérien provisoire, avec sa femme française Josie et son jeune fils Olivier.

Dans un premier temps, il reprit à Tunis ses activités de psychiatre, mais il ne tarda pas à s’engager de plus en plus dans l’action politique aux côtés du FLN. La direction du journal du FLN El Moudjahid lui fut confiée. Après la déclaration d’indépendance du Ghana par Kwame Nkrumah, Fanon se déclara prêt à représenter à Accra le gouvernement algérien en exil. Son séjour au Ghana lui permit d’étudier de près les problèmes posés par la constitution d’un État africain indépendant ; il s’entretint longuement de ces questions avec le chef de l’État du Ghana, Nkrumah, avec lequel il s’était lié d’amitié. On retrouve trace de ce séjour en Afrique noire dans Les Damnés de la terre.

En 1959, un éditeur français qui n’en était alors encore qu’à ses débuts, François Maspero, publia le deuxième livre de Fanon, L’an V de la révolution algérienne. Le livre ne se contentait pas d’accuser la France de crimes de masse dans la population algérienne (aujourd’hui, plus de quarante ans après, la France reconnaît peu à peu officiellement ces crimes).

Au printemps 1961, il promit à son éditeur Maspero un nouveau livre. Celui-ci ne devait pas seulement porter sur l’Algérie, mais sur l’ensemble du tiers-monde en voie de décolonisation. À Tunis, Fanon dicta une page après l’autre en luttant contre la montre. Les chapitres furent confiés à Claude Lanzmann, le rédacteur en chef des Temps modernes, qui les apporta à François Maspero. À la demande de Fanon, Jean-Paul Sartre accepta de rédiger une préface. À la mi-octobre, Fanon se décida à contrecœur à se faire soigner à l’hôpital de Bethseda, à Washington. C’est là qu’il reçut, le 3 décembre, un exemplaire du livre qui venait d’être imprimé, et auquel il avait donné le titre Les Damnés de la terre. Il mourut trois jours plus tard, le 6 décembre 1961, à l’âge de trente-six ans. Selon son vœu, il fut enterré à proximité de la frontière tunisienne dans un village algérien libéré.

Quel message Fanon avait-il laissé dans ce livre, et à qui s’adressait-il ? Beaucoup de lecteurs ne sont semble-t-il pas allés au-delà de la préface de Sartre, qui, frémissant de colère, prophétisait la chute des puissances coloniales européennes ; ils se seraient aperçus, dans le cas contraire, que Frantz Fanon ne se contentait pas de vouer celles-ci aux gémonies. En 1961, Fanon considérait que l’époque coloniale était irrévocablement achevée ; il s’agissait pour lui de repérer les survivances du colonialisme qui continueraient d’affecter les sociétés du tiers-monde après l’indépendance, et de contribuer à ce que ces vestiges disparaissent.

Fanon enjoint les populations du tiers-monde à promouvoir dans leurs nouveaux États la formation d’une bourgeoisie productive, dotée d’une conscience politique et du sens de ses responsabilités envers les peuples. En cas d’échec de ce projet, avertissait Fanon, on verrait triompher une psychologie de petits affairistes qui ne seraient que les caricatures de leurs partenaires européens, jusque dans leurs modes de consommation. Et les mouvements de libération se transformeraient en parti unique, « la forme moderne de la dictature bourgeoise, sans masque, sans fard, sans scrupule et cynique ». En l’absence de perspectives nationales, la voie des « dictatures tribales » serait ouverte : elles attiseraient les tensions ethniques et religieuses et finiraient par provoquer la chute des nouveaux États.

Lothar Baier (extraits)
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MessageSujet: Re: Frantz Fanon: Quelques repères.   Frantz Fanon: Quelques repères. EmptyVen 24 Avr - 13:34

Frantz FANON s'est intéressé entre autres au problème de la violence en la liant au colonialisme.
L'école colonialiste affirme que l'Algérien est "naturellement" violent.
La violence sociale qui aujourd'hui existe dans nos relations est-elle à lier aux traumatismes des années 90 ou en est elle parmi les causes ?
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