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| Sujet: "Contre la mort" de Gonzalo Rojas Dim 1 Mai - 20:24 | |
| Le poète chilien, Gonzalo Rojas, prix Cervantes 2003, est mort ce lundi 25 avril, à 93 ans à Santiago du Chili, incapable de se rétablir après un infarctus cérébral contracté en février. S'est éteint celui qui, avec Nicanor Parra, était considéré comme un des derniers grands poètes vivants Chiliens Gonzalo Rojas est sorti de la pauvreté provinciale du sud du Chili pour devenir un des poètes les plus respectés d'un pays connu pour avoir eu de grands maîtres de ce genre littéraire. De son œuvre imposante se démarquent, surtout, les écrits au fin contenu érotique, tout comme ceux où il exprimait la douleur de l'exil durant les longues années de la dictature militaire d'Augusto Pinochet.Rojas, né le 20 décembre 1917 dans le port minier de Lebu, en plus du Prix Cervantes 2003, la plus importante récompense littéraire de langue espagnole, reçut le Prix national de littérature du Chili et le Prix de poésie de la Reine Sophie, en Espagne. Contre la mort
Je m'arrache la vue et m'arrache les yeux chaque jour qui passe.
Je ne veux pas voir, je ne peux pas! voir mourir les hommes chaque jour.
Je préfère être de pierre, être mélancolique,
qu'à supporter ce dégoût me rongeant de l'intérieur et sourire
à droite et à gauche pourvu que fonctionne mon manège.
Je n'ai rien d'autre à faire que de rester ici à dire la vérité,
au milieu de la rue et à tous les vents:
la vérité d'être vivant, rien d'autre que vivant,
les pieds sur terre et le squelette libre en ce monde.
Que gagnons-nous à bondir vers le soleil avec nos machines,
à la vitesse de la pensée, que diable: que gagnons-nous
à voler au-delà de l'infini
si nous continuons à mourir sans espérance aucune de
sortir des temps obscurs?
Dieu ne m'aide pas. Personne ne m'aide à rien.
Mais je respire, et comment, et je m'assoupis
en pensant qu'il ne me reste plus que dix ou vingt ans pour aller
m'allonger, comme tout le monde, dormir entre deux mètres de ciment là-dessous.
Je ne pleure pas, je ne me pleure pas. Tout doit être comme il doit être,
mais je ne peux voir les cercueils et les cercueils
passer, passer, passer, passer chaque minute,
couvrant quelqu'un, recouvrant quelqu'un, je ne peux pas voir
le sang encore chaud dans les cercueils.
Je touche cette rose, j'embrasse ses pétales, j'adore
la vie, je ne lasse pas d'aimer les femmes; je me nourris
en ouvrant leur monde. Mais tout est inutile,
puisque je suis moi-même une tête inutile
prête à être coupée, mais qui ne comprend pas que c'est cela
que d'espérer un autre monde de ce monde-ci.
Qu'ils me parlent de Dieu ou qu'ils me parlent de l'Histoire. Je ris
d'aller chercher si loin l'explication de la faim
qui me dévore, la faim de vivre comme le soleil
dans la grâce du ciel, éternellement.
Gonzalo Rojas | |
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