Le Saint patron de Miliana est l'illustre Sidi Ahmed ben Youssef. qui attire toujours de nombreux pèlerins. non seulement d'Alger et d'Oran mais du fond du Sahara et du Maghreb qui lui vouent respect pour son érudition. Sidi Ahmed ben Youssef er Rachidi naquit. selon la plupart des sources écrites, à la Kalaâ des Beni-Rachid, près de Mascara. dans le second tiers du XVe siècle. On lui connaît ses démêlés avec les derniers souverains abdelaouadites de Tlemcen.
Il s'affilia à la confrérie Chadilya. Cette voie mystique, dont l'historien Asin l'alacios a montré l'importance et l'influence possible sur les mystiques espagnols comme Saint Jean de la Croix, moins sur les pénitences et les mortifications, que sur l'abnégation intégrale, le pur amour désintéressé, le renoncement même aux faveurs et suavités spirituelles. C'est ainsi que Sidi Ahmed distinguait les mondains absorbés par leurs intérêts temporels ; les dévots qui aspirent à la vie future et songent à leurs intérêts spirituels et les gnostiques initiés à la connaissance divine qui ne se préoccupent que de Dieu.
Celui, disait-il, qui sert ce bas monde est un captif, celui qui agit en vue des récompenses célestes est un mercenaire, celui qui sert la Vérité pour elle-même est un prince. Il préconisait la voie passive du medh, de l'extase et se montrait favorable à la méthode très répandue déjà des concerts spirituels, des litanies du Dikr et de la danse extatique. Après avoir échappé à la capture par un corsaire chrétien, il retourne à Ras-el-Ma près de Mascara.
Sur l'ordre d'un mystérieux danseur extatique, il ouvrit une zaouïa et commença à être connu comme professeur et comme saint.
Il dut pousser des pointes vers le Sahara où il a encore des disciples. et où il prononça un de ses dictons en prose assonancée : "Votre sable a desséché ma gorge ; vos pierres ont usé mes pieds et votre eau ne m'a pas désaltéré. Je n'en ai même pas eu assez pour mes ablutions «Si tu trouves le Sahara si mauvais, lui dit alors son disciple Sidi Sliman Bou Smaha, il vaut mieux que je le quitte aussi». «Non, répliqua le saint. reste ; tes descendants le peupleront. Le désert est un puits dont le chameau est le delou (sac de cuir avec lequel on puise)». Ce Sidi Bou-Smaha, aïeul du fameux Sidi Cheikh, Chef de la grande insurrection contre l'armée coloniale. Si l'on en juge par les dictons en arabe dialectal de l’excellent et rare document linguistique, Sidi Ahmed ben Youssef voyagea beaucoup dans l'Algérois et l'Oranie.
Ces sentences rythmiques, assonancées, plus souvent satiriques qu'élogieuses, concernent les tribus et les villes diverses. Sans doute n'est-il pas responsable de la plupart et a-t-on mis sous son nom bien des traits satiriques après lui. Peut-être, est-ce le cas de dire, qu'on ne prête qu'aux riches. Blida «la petite rose» et Médéa «la bien dirigée» sont à peu près les seules villes louées. Il juge paradisiaque. on ne sait trop pourquoi. la petite Sirât (aujourd'hui dans la commune de la Mina). Il est sorti d'Alger «ahuri». Il trouve qu il y a dans le Chélif plus de cafés que de mosquées ; qu'on dépense trop d'argent à Oran «la dépravée» ; qu'un faux dirhem de cuivre vaut mieux qu'un taleb du Ghriss ; que cent pêcheurs de l'Orient valent mieux qu'un honnête homme du Maghreb.
Sidi Ahmed est aussi très vénéré des citadins. des villes comme Alger, Blida, Boutarik et Cherchell, qui y viennent généralement en été. Naguère encore, leur rkab, leur cortège, était imposant, avec ses «sendjaks» et ses musiques. Ils entraient par la porte du Zaccar. Le soir, un orchestre avec violon et luth jouait des airs de la classique musique andalouse. La tradition était d'improviser des sketches burlesques, mimant des scènes de ménage. des tableaux de mœurs fortement satiriques, mettant en scène des cadis véreux, des hommes d'affaires laissant tout nus leurs clients paysans, des tartuffes à grands chapelets dont les grains étaient des pommes de terre et qui se terminaient par une carotte etc...
Mohamed Bentaleb in El Moudjahid 10/08/2011